26/01/2019

La fascination de l’absence de temps

      Ecrire, c’est se livrer à la fascination de l’absence de temps. Nous approchons sans doute ici de l’essence de la solitude. L’absence de temps n’est pas un mode purement négatif. C’est le temps où rien ne commence, où l’initiative n’est pas possible, où, avant l’affirmation, il y a déjà le retour de l’affirmation. Plutôt qu’un mode purement négatif, c’est au contraire un temps sans négation, sans décision, quand ici est aussi bien nulle part, que chaque chose se retire en son image et que le «Je» que nous sommes se reconnaît en s’abîmant dans la neutralité d’un «Il» sans figure. Le temps de l’absence de temps est sans présent, sans présence. Ce «sans présent» ne renvoie cependant pas à un passé. Autrefois a eu la dignité, la force agissante de maintenant; de cette force agissante, le souvenir témoigne encore, lui qui me libère de ce qui autrement me rappellerait, m’en libère en me donnant le moyen de l’appeler librement, d’en disposer selon mon intention présente, le souvenir est la liberté du passé. Mais ce qui est sans présent n’accepte pas non plus le présent d’un souvenir. Le souvenir dit de l’événement: cela a été une fois, et maintenant jamais plus. De ce qui est sans présent, de ce qui n’est même pas là comme ayant été, le caractère irrémédiable dit: cela n’a jamais eu lieu, jamais une première fois, et pourtant cela recommence, à nouveau, à nouveau, infiniment. C’est sans fin, sans commencement. C’est sans avenir.

Maurice Blanchot, in "L'Espace Littéraire"

© Mme. C. Blanchot

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